Comment j’ai commencé à écrire
Je me souviens d’une époque où ce n’était pas seulement vide et noir, c’était douloureux comme l’absence et le manque.
Quelque part, j’avais entendu parler de « Soleil Noir », je l’ai alors baptisé mon soleil noir.
Ces mots lui ont donné de l’importance, ça a un peu allégé la souffrance.
Il y a des mots qui nous parlent, d’autres que nous faisons parler parce qu’ils nous consolent un peu.
Il y a les mots creux et vains, il y a les mots qui font mal.
Et puis il y a ceux, merveilleux, auxquels on aimerait tendre, mais qui sont restés au stade de lettre morte.
Alors j’écris mes propres mots.
Je les écris parce que j’ai le temps, je les écris pour passer le temps.
J’écris
pour que le temps passe, j’écris parce que le temps qui passe me
presse. J’écris pour que le temps qui me reste ne soit pas la seule
raison de mon existence.
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Pendant
que j’écris – fébrile, Heaven se manifeste impérieusement dans mon
dos en s’agrippant de tout son poids à mon pull. « Eh, occupe-toi de
moi ! »
Je tire de mon côté pour m’en débarrasser et elle finit
par décrocher, les mailles du pull avec. Ne s’avoue pas vaincue pour
autant, grimpe sur la table de la cuisine et s’étale sur mes
prétentions d’écrivain.
J’ai compris le message. Un câlin n’attend pas.
Ça ne dure pas des heures non plus, elle en a vite assez et me quitte brutalement alors que je commence tout juste à apprécier le doux contact de son pelage soyeux.
Heaven est ma petite panthère noire.
Chaton,
c’était une véritable terreur, aussi éloignée que possible de la
petite boule de poils confiante et innocente qu’on aimerait tenir dans
le creux de sa main.
La nuit, au lieu de dormir, elle guettait le
moment où je laissais sortir par mégarde une main ou un pied des
couvertures pour aussitôt sauter dessus et me mordre jusqu’au sang.
Une tape sur le museau, il paraît que c’est ce que fait la maman chat pour décourager les velléités par trop agressives de ses petits. Une tape, tu parles… pour calmer ses ardeurs, j’ai été obligée de lui aligner carrément des torgnoles qui l’envoyaient valdinguer contre le mur. Ça la calmait… quelques minutes.
Cet
ouragan en miniature m’a enseigné par la force des choses que les
portes fermées n’avaient pas lieu d’exister si je voulais bénéficier
d’un semblant de paix et de silence. Un ouragan, même de quelques
centimètres d’envergure, ça fait un boucan de tous les diables.
Quand
je lui préparais à manger, la terreur trouvait que c’était trop
long, elle ne pouvait l’accepter. Escaladait alors ma jambe pour
s’accrocher à ma taille et surveiller au plus près le bon déroulement
des opérations. Si j’étais en pantalon, ça ne posait pas de
problème. Mais en jupe ? On imagine les dégâts…
Je rêvais souvent de lui tordre le cou.
Chaque
fois, pile au moment où je me demandais comment procéder, elle
s’approchait d’un pas circonspect et, l’air de rien, venait se blottir
contre moi pour téter… mon bras. Avec précaution d’abord, puis un
enthousiasme de plus en plus grandissant, jusqu’à la presque fureur. Et
d’un seul coup, sans la moindre transition, elle s’effondrait comme une
masse, épuisée.
Confiante enfin.
L’espace d’un apaisement, son
doux ronflement de bébé chat nous entourait alors d’une bulle de
tendresse absolue… qui volait en éclats dès qu’elle entrouvrait les
yeux. Elle sautait aussitôt du canapé et détalait comme si sa vie en
dépendait.
Entre-temps, elle avait eu tout le loisir de me pétrir
et de m’arracher la peau de ses griffes étonnamment pointues pour une
créature aussi minuscule.
Les chats sont des destructeurs : de pulls, de canapés, de papier peint, de bras et de jambes.
Les chats sont des despotes sanguinaires, quand ils veulent quelque chose, c’est tout de suite. Sinon, gare à votre peau.
Les chats sont ingrats, lorsqu’ils ont satisfait leurs exigences, vous cessez d’exister.
Et pourtant, on les aime. Pourquoi ?
La communication du chat est limpide : voici ce dont j’ai besoin. Point.
Il est clair dans la relation : il prend, laisse et s’en va sans se sentir redevable.
Il n’y a ni confusion ni ambiguïté, il est lui et vous êtes vous, les contours sont bien définis.
Le chat représente tout ce que nous ne sommes pas en tant qu’être humain.
Le chat ne fait pas semblant de nous aimer pour arriver à ses fins ou nous complaire.
Le
chat n’attend pas d’autorisation, n’est pas en quête d’approbation, il
est libre d’être ce qu’il est. Dans son monde à lui, l’être le plus
important c’est lui, il ne lui viendrait pas à l’idée de prétendre le
contraire. Et pourtant, sa présence nous fait du bien.
Comme celle d’un enfant.
Comme un enfant, il est vrai, et avec lui nous pouvons l’être aussi.
Nous n’avons plus besoin de nous cacher.
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Pourquoi j’ai commencé à écrire ?
Je
n’ai jamais été une petite fille insouciante, partout où je
regardais, je ne voyais que menace et désolation. Alors je m’appliquais
à bouger le moins possible dans l’espoir de me faire oublier.
Le
souvenir de cette petite fille qui n’a jamais existé me manque. Mais je
me souviens de sa peur, de sa solitude. Je me souviens et je pleure son
désespoir. Je pleure parce que je sais qu’elle n’existera jamais.
Je pleure l’enfant qui a dû renoncer à grandir. Celle qui est resté là-bas, très loin, dans une bulle de verre infranchissable.
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Nous
devons tous à un moment ou à un autre visiter cette contrée qu’on
appelle le monde. Lorsque est venu le temps pour moi, mes pas n’étaient
pas très assurés, le cœur n’était pas à l’ouvrage. Je suis partie
avec juste au fond de moi l’espoir de connaître un jour l’amour d’un
homme.
L’amour, je ne savais pas ce que c’était, je savais seulement
que le jour où je le trouverais, mes efforts seraient récompensés.
Et que ce jour-là, je connaîtrais enfin la paix.
C’est comme ça que j’ai commencé à marcher, quand j’ai cru que j’étais devenue une femme. Certains matins, le courage me venait. D’autres fois quand la fatigue me terrassait, je m’arrêtais pour reprendre mon souffle avant de reprendre ma route.
J’ai
trébuché, je suis tombée, je me suis écorchée, je me suis
blessée. Alors à nouveau, je m’arrêtais pour me reposer et me
soigner.
Chaque fois, je me suis relevée et j’ai continué, en
oubliant la plupart du temps où aller ni pourquoi y aller. L’amour,
est-ce un endroit ? Et est-ce que ça existe vraiment ?
Je savais seulement que je devais marcher, alors j’ai marché, me demandant à chaque pas quand et si j’allais y arriver.
Un
jour, je me suis dit que je n’y arriverais pas et je me suis arrêtée
pour de bon, au milieu de nulle part. Et j’ai appelé le sommeil,
espérant que ce serait à jamais.
Je me suis quand même réveillée.
Quand j’ai ouvert les yeux, une nuée grouillante de cafards me cernait.
Que faire devant un telle multitude sinon fuir ?
Mais on ne peut pas fuir toute sa vie, nos ressources ne nous le permettraient pas. Il y a un moment où il faut faire face.
Affronter,
je ne me sentais pas de taille, alors j’ai rusé. Je leur ai fait
croire que je les aimais et que je saurais prendre soin d’eux. J’ai
essayé de me faire accepter et de les apprivoiser. J’ai essayé de me
fondre dans la masse et de me faire oublier.
J’ai même fini par y
croire, j’ai réussi à me persuader que le monde entier baignait dans
la lumière d’un amour universel et infini.
La
chute a été brutale, comme auparavant. Le réveil douloureux, comme
auparavant. L’affrontement devenait inévitable, malgré l’issue
prévisible et inéluctable. Très vite, submergée par le nombre, j’ai
baissé les bras et j’ai laissé faire.
L’oubli est un refuge qui s’offre parfois.
Dieu sait comment, j’ai fini par me réveiller une fois de plus.
Quand on est réveillé, on n’a d’autre solution que de se lever pour assurer sa survie et sa subsistance.
On
peut repartir et retrouver à la longue un certain goût à la vie. On
peut même y reconnaître un semblant d’harmonie. C’est loin d’être
parfait, mais on réussit à se convaincre qu’il n’y a rien de plus
ennuyeux que la perfection.
On peut se persuader que c’est très bien comme ça. Mais c’est épuisant de faire semblant.
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J’ai besoin de temps, j’ai besoin de pardon.
J’ai
besoin de croire que la bulle où j’étais n’avait pas le dessein de
m’isoler, j’ai besoin de croire qu’en réalité elle me protégeait et
que quelque chose aujourd’hui continue à me protéger. De le croire
m’évite de sombrer à nouveau, j’ai besoin de croire que je peux vivre
autrement, qu’avec le temps j’apprendrai. J’ai besoin de le croire pour
continuer.
Je ne sais pas à qui le dire, mais j’ai besoin de dire merci.
Merci de veiller sur moi, même quand je ne m’en aperçois pas.
Merci de me rappeler que je suis vivante, même si je ne le sais toujours pas.
Quand d’aventure j’arrive à le ressentir, l’espace d’une seconde je me sens grande. Seulement l’espace d’une seconde…
« N’OUBLIE JAMAIS
TU N’AS PAS BESOIN D’ÊTRE GRANDE TU AS JUSTE BESOIN DE GRANDIR »
C’est quand j’ai entendu cette voix dans ma tête que j’ai commencé à comprendre. Je n’avais pas besoin d’être une petite fille pour grandir. Les grandes personnes aussi en ont le droit.